L’indépendance de la commission électorale de Côte d’Ivoire de nouveau devant la cour africaine des droits de l’homme et des peuples - Favrel Avocat
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L’indépendance de la commission électorale de Côte d’Ivoire de nouveau devant la cour africaine des droits de l’homme et des peuples

Le 12 mars 2020, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (la Cour) a examiné la requête présentée par Suy Bi Gohore Emile et 8 autres requérants contre la Côte d’Ivoire.

Moins d’un an avant la date des élections présidentielles prévues pour octobre 2020, la Cour est invitée à se prononcer sur le caractère impartial et indépendant de l’organe électoral de ce pays d’Afrique de l’Ouest.

A l’origine de cette nouvelle procédure : une décision de la Cour du 18 novembre 2016 constatant le déséquilibre dans la composition de l’organe électoral ivoirien et enjoignant la Côte d’Ivoire à modifier la loi du 18 juin 2014, relative à la Commission Électorale Indépendante (CEI), pour la rendre conforme aux instruments internationaux pertinents.


Les thèses des parties

Invoquant l’article 30 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les requérants se plaignent de la non-exécution de l’arrêt du 18 novembre 2016 (dit arrêt APDH contre Côte d’Ivoire). Selon eux, la loi du 5 août 2019, portant recomposition de la CEI n’a pas institué un organe électoral indépendant. Ils allèguent en particulier que les personnalités composant cet organe seraient majoritairement inféodées au pouvoir. En outre, il est reproché à la loi électorale de ne pas garantir la représentation des candidats indépendants au sein de cette instance.

De son côté, le gouvernement affirme que le cadre juridique actuel garantit l’indépendance de l’organe électoral qui est désormais composé de personnes nommées, et non plus de représentants. Le gouvernement fait ainsi valoir qu’en supprimant le mandat existant entre les personnes désignant les membres de la CEI et les personnes siégeant au sein de la CEI, la loi garantit désormais l’indépendance institutionnelle de l’organe électoral. Par ailleurs, se prévalant de l’adoption quelques jours avant l’audience d’une ordonnance renforçant la représentativité de la CEI, en augmentant le nombre de personnes nommées par les partis d’opposition, le gouvernement avance que la présente requête est devenue sans objet.


Le droit international applicable

Plusieurs instruments internationaux imposent à la Côte d’Ivoire de créer et renforcer des organes électoraux indépendants et impartiaux.

Ainsi l’article 17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance impose à ses membres « de créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections ».

De même, aux termes de l’article 3 du Protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance

« Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits Organes. »

Selon la Cour le respect de ces dispositions est essentiel pour garantir le droit des citoyens à participer librement à la direction des affaires publiques, tel que prévu par l’article 13 de la Charte des droits de l’homme.

Pour autant, aucune de ces dispositions n’énonce les caractéristiques d’un organe électoral indépendant et impartial.

Dans l’arrêt APDH, la Cour a précisé cette notion. S’inspirant de la définition d’indépendance développée par la Cour européenne des droits de l’homme à propos des tribunaux, la Cour a d’abord recherché des éléments objectifs permettant de caractériser l’indépendance et l’impartialité de l’organe électoral. Par ailleurs, elle a affirmé l’importance des apparences et de la perception des citoyens. La Cour considère ainsi qu’ « un organe électoral est indépendant quand il jouit d’une autonomie administrative et financière et qu’il offre des garanties suffisantes quant à l’indépendance et l’impartialité de ses membres ». Mais cela n’est pas suffisant, pour la Cour, l’ « organe électoral mis en place doit, en outre, être composé selon la loi de façon à garantir son indépendance et son impartialité et à être perçu comme tel ».


Une décision périlleuse

Il ressort de l’arrêt APDH contre Côte d’Ivoire que l’appréciation du caractère indépendant et impartial d’un organe électoral implique une étude des dispositions légales et réglementaires mais également du contexte politique.

Dans le cadre de la présente requête, une telle analyse pourrait s’avérer périlleuse pour la Cour.

Alors que les Etats africains manifestent une hostilité croissante à l’égard de ses décisions, la Cour prendra-t-elle le risque de s’inviter dans les élections ivoiriennes ?

Pour rappel la Côte d’Ivoire est traversée depuis son indépendance par des crises électorales, la dernière ayant causé plus de 3000 morts entre 2010 et 2011. En outre, ces derniers mois, les rapports d’organisations internationales font état d’un climat d’intimidation faisant craindre une recrudescence de violence à l’approche des élections.

En déclarant la requête recevable la Cour risque de se retrouver aspirée dans le maelstrom d’une crise politique peu de temps avant la date du scrutin. L’article 59 de son Règlement impose en effet à la Cour de rendre sa décision dans les 90 jours suivants la fin des délibérations, soit moins de six mois avant le début du scrutin. En particulier, l’invalidation du cadre juridique régissant la composition de la CEI risquerait accroître les tensions politiques en Côte d’Ivoire tout en nécessitant une modification rapide dudit cadre dans un contexte de défiance politique.

A l’inverse, si elle déclarait la requête irrecevable, la Cour manquerait l’opportunité de réaffirmer les obligations des Etats relatives à l’exécution de ses décisions. Ce faisant, elle risquerait de porter atteinte à sa légitimité et sa crédibilité.

Cette requête illustre la délicate position des organes africains de protection des droits de l’homme qui doivent imposer leur autorité dans un contexte d’hostilité croissante des Etats. 

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