Conjurer la malédiction des ressources naturelles en Ouganda par l’application du devoir de vigilance des multinationales - Favrel Avocat
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Conjurer la malédiction des ressources naturelles en Ouganda par l’application du devoir de vigilance des multinationales

L’Ouganda dont l’exploitation des gisements de pétrole devrait commencer en 2023, sera le prochain pays producteur du continent. Si la manne pétrolière devait apporter à ce pays d’Afrique de l’Est, des revenus fiscaux dont il a grand besoin pour impulser son développement économique, se pose la question de savoir si l’Ouganda pourra échapper à la malédiction des ressources naturelles.

De manière paradoxale, et comme l’illustre les exemples du Tchad, de la République Démocratique du Congo, ou encore du Nigéria, l’exploitation des richesses des sous-sols est souvent synonyme de misère pour les communautés vivant à proximité de l’activité extractive, de mauvaise gouvernance et de dégâts environnementaux. En effet, la création d’infrastructures de pompage et de commercialisation du pétrole s’accompagne généralement de déplacements forcés de population tandis que l’extraction des richesses du sous-sol est souvent associée à la déforestation, la dégradation des sols et la rupture des écosystèmes. De surcroît, les perspectives d’importantes ressources financières focalisent souvent l’attention des gouvernements sur la croissance du secteur extractif au détriment de la protection environnementale et sociale. 

Dans ce contexte, l’action engagée par six ONG contre la société française Total pour manquement à son devoir de vigilance dans le cadre de son projet pétrolier en Ouganda regorge de riches potentialités. 


LE RISQUE D’ATTEINTE AUX DROITS HUMAINS ET A L’ENVIRONNEMENT

Si l’exploitation pétrolière n’a pas encore démarré en Ouganda, tout semble indiquer qu’elle pourrait avoir de lourdes conséquences sur les droits humains des communautés vivant à proximité des gisements de pétrole. 

D’ailleurs les expropriations pour permettre la construction d’infrastructures pétrolières ont déjà commencé. Plus de 15 000 personnes auraient été forcées de quitter leurs terres. Mais alors que la loi prévoit l’octroi d’une juste compensation en cas d’expropriation, les populations locales, pratiquant majoritairement une agriculture de subsistance, déplorent une indemnisation insuffisante pour se reloger et accéder à des sources de revenues durables. 

Dans le cas de Total, la compagnie est accusée d’avoir spolié les habitants en leur offrant une indemnisation dérisoire, bien en deçà de celle offerte par d’autres compagnies.

Le risque que l’exploitation du pétrole entraîne une catastrophe écologique est également bien réel puisque le gouvernement a autorisé l’exploration pétrolière dans la zone du Lac Albert qui possède une biodiversité très riche. 

A la frontière entre l’Ouganda et la République Démocratique du Congo, la zone qui abrite de nombreux mammifères, des oiseaux rares et une des plus grosses ressources en poisson au monde pourrait bien voir son écosystème perturbé par l’industrie extractive. Pour les populations locales une pollution de cette zone causerait des dégâts sur la qualité de l’eau, les terres agricoles restantes, et les autres sources de nourriture, comme la pêche. 


L’ABSENCE DE RECOURS EFFECTIF DEVANT LES TRIBUNAUX NATIONAUX

Le cadre juridique ougandais contient bien des dispositions visant à protéger les droits des communautés potentiellement lésées par l’extraction pétrolière. 

Ainsi la Constitution encadre strictement les hypothèses d’expropriation et prévoit une indemnisation rapide, équitable et suffisante. La loi oblige également les porteurs de projets à évaluer, les effets potentiels ou avérés du projet sur l’environnement et les populations locales. 

De telles garanties sont toutefois insuffisantes. Dans ce pays, classé parmi les plus corrompus du monde, impatient de commencer la production de pétrole, la capacité des autorités à faire respecter les réglementations aux géants du pétrole est limitée. 

S’agissant des puits de pétrole devant être forés dans la zone du Lac Albert, les ONG plaignantes accusent les autorités ougandaises d’avoir pris des raccourcis dans l’évaluation environnementale et sociale du projet présenté par la compagnie Total. Selon les ONG, l’autorité Environnementale aurait donné la priorité au démarrage rapide de l’exploitation pétrolière sur la pleine prise en compte des risques environnementaux encourus.

Dans ce contexte d’opacité et de corruption, le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, dénoncé par les observateurs nationaux et internationaux, prive les victimes d’un recours effectif devant les tribunaux ougandais. 


LE DEVOIR DE VIGILANCE DES MULTINATIONALES AU SECOURS DES VICTIMES

Dès lors, les actions tendant à sanctionner les manquements des multinationales à leur devoir de vigilance pourraient bien être le seul moyen pour les populations locales de prévenir et sanctionner des atteintes à leurs droits et à l’environnement. 

A travers le monde, des avocats représentant les communautés lésées se sont engagés dans cette voie, depuis quelques années. Jusqu’ici cependant, les multinationales qui faisaient valoir l’autonomie juridique de leurs filiales parvenaient le plus souvent à échapper à leur responsabilité. 

Aussi, c’est sur ce fondement qu’au Royaume Uni, les recours collectifs engagés par plus de 40 000 Nigérians contre la société Shell ont été rejetés. Ces habitants du Delta du Niger, qui ont depuis saisi la Cour Suprême, accusent Shell et sa filiale nigériane d’être responsables de la destruction de leurs terres et de la pollution de leurs cours d’eau. 

La loi française permet de dépasser l’obstacle que constitue les montages juridiques complexes des multinationales. En effet, son champ d’application couvre à la fois les activités de la société mère mais également de ses filiales, sous-traitants et fournisseurs. 

La loi sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et donneuses d’ordre est ainsi la première à poser des obligations contraignantes aux entreprises dans le domaine de la prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement, en France et à l’étranger. 

Dans le sillage français, d’autres pays tels que la Norvège, la Suisse, la Suède, l’Italie, l’Allemagne et le Luxembourg envisagent également de poser un devoir légal de vigilance obligeant les compagnies à prévenir des atteintes aux droits humains dans leurs opérations à l’étranger. 

Et à mesure que recul l’impunité des multinationales, les chances que l’Ouganda et d’autres pays jouissant de riches sous-sols, puissent conjurer la malédiction des ressources naturelles, augmentent. 

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